La pluie tombait avec ardeur sur les cochons fluorescents de Monsieur Ling. Ceux-ci pataugeaient et se roulaient dans la boue avec le plaisir d'un roi fainéant tandis que leur propriétaire gesticulait pour tenter de les faire rentrer dans l'enclos qui leur était consacré à l'arrière du "laboratoire".
Jack Runciter observait la scène à distance. Il était assis sur un tabouret en plastique devant le container préfabriqué qui lui servait de bureau, de chambre d'hôtel, de cuisine et de salle de bain. Le seul truc en dur que l'on puisse trouver à des milliers de kilomètres à la ronde. Cela faisait 4 jours qu'on l'avait largué en plein champ, en provenance direct de Londres. 9 heures de vol jusque Beijing puis le convoi routier qui roule sans interruption durant trois jours pour arriver au milieu de nulle part. Tout cela pour observer des cochons luminescents.
Il était déjà à maintes reprises parti en mission à l'étranger pour la société mais s'il n'avait été si déprimé, il n'aurait probablement pas accepté celle-ci. Tous les autres chercheurs l'avaient d'ailleurs tous refusée avant lui. Ce qui n'était pas étrange car normalement, les déplacements à l'étranger chez MD genetics sont souvent prétextes aux excès et à la luxure. Les scientifiques séjournent dans les plus grands hôtels et peuvent se faire payer les meilleurs restaurants et les meilleures dames de compagnies qu'ils soient à Djakarta, Bruxelles, Tokyo ou Sacramento. Mais cette fois-ci tout était différent. S'il avait du choisir un mot pour définir sa mission, il aurait sans aucun doute choisi le mot "burlesque".
Mr Ling revenait vers lui tenant dans sa main droite un vieux seau en fer et son pantalon de l'autre. Un de ces pantalons très simple en tissus comme portent quasiment tout les paysans chinois. Le reste de sa tenue était moins traditionnel, il avait une casquette des New York Knicks vissée sur la tête et l'on pouvait reconnaitre l’Oncle Picsou flanqué de ses inséparables neveux Riri, Fifi et Loulou sur le t-shirt trop grand et maculé de boue du fermier.
- "No rain, no water...no water, no food...too much rain, too much water... too much water, no food" lança t'il à l'intention de Jack qui n'était pas sur d'avoir saisi ce que voulait dire le vieil homme.
- "Yes, rain, lot of water...too much" lui répondit-il.
- "Pigs like the rain. Me, don't like. I prefer sun"
- "Me too" sourit Jack. Il était content que le bougre ait eu un minimum de notion d’Anglais pour pouvoir esquisser une discussion de temps en temps.
Les porcinets barbotaient toujours dans la boue et le faisait penser à Ben, son neveu qui avait passé tout l'été dernier dans la piscine gonflable qu'il avait installée dans le jardin de sa maison de Preston. Il serait stupéfait si il lui ramenait un de ces spécimens pensa t'il. Il s’imaginait déjà la scène, Ben continuant à s'amuser dans l'eau à la tombée de la nuit, éclairé par le seul reflet de la Lune et sa truie lumineuse de compagnie. Il commença à sourire mais il se dit qu'après tout, tout cela avait peu de sens... Ces cochons avaient peu de chances de se retrouver sur le marché des lampes de jardin et Ben était définitivement reparti avec sa mère en Australie.
C'est à la même époque que les autorités de la province de Gansu, en Chine, avaient prises contact avec MD genetics à Greenwich. Les dirigeants de MDG, et particulièrement le directeur des recherches Kevin Gallagher, n’avaient pas immédiatement pris leurs déclarations au sérieux. Ils prétendaient qu'une équipe de chercheur de l'université de Harbin, qui travaille sur les Organismes génétiquement modifiés, avait réussi à insérer une protéine fluorescente de méduses dans l’ADN d’embryons de cochons provenant d'un élevage du sud de la province de Gansu. Ils souhaitaient maintenant déposer et vendre une licence pour des porcs génétiquement modifiés aux différentes entreprises ayant trait aux animaux artificiels. Malgré leurs doutes, MDG étant une des entreprises pionnière en la matière des organismes vivants modifiés, ils ne souhaitaient en aucun cas laisser une opportunité de collaboration avec des experts orientaux à leurs concurrents. Il avait été décidé d’envoyer un de leurs meilleurs éléments sur place pour être en contact direct avec les chinois et surveiller de près ces spécimens, la découverte était trop belle pour laisser quoi que ce soit au hasard.
Mais quelle utilité pouvait-on bien trouver à des cochons fluorescents ? C'était certes assez spectaculaire de les voir rejeter la lumière du soleil dans des teintes vert-jaune une fois la nuit venue mais "énergétiquement" et scientifiquement parlant cela restait une transformation mineure. Et on ne pouvait parler d'une réelle utilité pratique...
Mr Ling et sa femme non plus ne comprenaient pas non l'intérêt porté à leurs cochons. La veille, une équipe de la télévision nationale Chinoise était venue par hélicoptère effectuer un reportage en exclusivité. Le couple de paysan était très excité à l'idée de présenter "leurs bébés". Ils pensaient à leurs relations et à la famille disséminée dans toute la région découvrant simultanément leurs faces dans le poste de télévision, mais ils ne pouvaient en aucun cas s'imaginer le fait qu'un bon milliard de chinois allaient simultanément se partager les images de leurs cochons psychédéliques et encore moins penser aux satellites relayant tout autour du globe les signaux numériques provenant de leur lopin de terre perdu au milieu de la campagne cantonaise. Hors, qui peut imaginer les conséquences inattendues que nous réservent ces deux animaux...
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